Atelier et chantier de France
85 ans de lancements à Dunkerque
Par Frédéric CORNETTE
Préface de Patrick Oddone
Président de la Société Dunkerque d’Histoire et d’Archéologie
 
En 1987, à la suite d’une crise économique qui secoua le système industriel français, mise en œuvre par une politique libérale impliquant la suppression des aides publiques, conjuguées à une concurrence exacerbée des pays asiatiques, Dunkerque perdait son fleuron industriel local : les Ateliers et Chantier de France. Trente ans après le lancement du dernier navire, le ferry Nord-Pas-de-Calais, est venu le temps de la commémoration par l’édition de ces deux volumes richement illustrés…
 
Ce travail documentaire retrace le parcours depuis 1870, date du lancement du programme de modernisation du territoire, par la mise en application du plan Freycinet (nom du ministre du travail de l’époque Charles Freycinet) dont profite le port de Dunkerque. C’est donc sous l’impulsion de ces travaux que Léon Herbart (président de la chambre de commerce et d’industrie de Dunkerque) créa, en 1898, la société des ateliers et Chantier de France (ACF) dont il deviendra le directeur. Édifié à proximité du port de Dunkerque, les chantiers s’inscrivent dès l’origine comme un élément de l’industrialisation de la ville. Devenant de suite la principale entreprise locale. Du premier quatre-mâts barques, pour l’armement Bordes, aux paquebots à vapeur Ville de Paris et Ville du Havre, les chantiers sont en pleine essor, avec un effectif de 2 400 personnes, lorsqu’éclata, en 1914, la première guerre mondiale.
À la suite de cette triste période, les ACF se lancent dans la réhabilitation et l’amélioration des capacités de production. Dès lors, le chantier participe au programme de réarmement avec la construction, pour la Marine Nationale, de navires de guerre. Tout en poursuivant l’assemblage de navires commerciaux. En 1937, les chantiers de France décrochent un contrat qui permet à l’entreprise de fabriquer et de lancer le plus gros pétrolier du monde (de l’époque). Constituant alors la plus belle réalisation des ACF. Cette période voit aussi l’arrivée du directeur le plus emblématique du chantier, Lucien Lefol, qui après un parcourt démarré en 1920, comme ingénieur, se voit propulser directeur général des ACF au cours de la même décennie (Il décédera en 1980).
Lorsqu’éclate la deuxième guerre mondiale, le chantier est en pleine construction de deux pétroliers : le Seine et le Saône. Bien que tous soient mis en œuvre pour finaliser la transaction de ses deux bâtiments, le chantier reste en l’état. Ayant subi de graves dégâts, à la libération, les installations sont pratiquement détruite. Curieusement, ses deux navires sont indemnes, mais ils sont sabordés par les Allemands (bande de petit salopard) 1. Cependant, le courage et la ténacité des ouvriers et des cadres de l’entreprise permettent de repositionner ces derniers sur les cales (Pour les renflouer).
Très vite, l’activité reprend de plus belle et ces deux navires sont livrés en 1949. Un centre de formation en interne "école des traceurs" permettait aux apprentis de ce former et d’obtenir un CAP, débouchant à l’emploi au sein des ACF, dont les meilleurs travaillaient à la salle à tracer. Certains d’entre-eux parvinrent au bureau d’étude ou agent de maîtrise.  Suite au rachat en 1956 par le groupe Schneider SA, les ACF deviennent les ateliers et chantier de France-Gironde (1960). Cette fusion, imposée par le livre blanc sur la construction navale de 1959, se révèle être une très mauvaise opération financière. Débouchant sur la fermeture du chantier de Bordeaux (1969). Les chantiers prenant alors comme raison sociale de France-Dunkerque.
À partir de 1970, l’entreprise poursuit sa politique de modernisation, afin de resté compétitive sur un marché très concurrentiel. Elle opte pour la construction d’unités de grande technicité. La mise en chantier d’un grand nombre de méthaniers, minéraliers, navires réfrigérés, porte-conteneurs, transports de voitures, pétroliers, paquebots, cargos etc., dont certains atteignirent près de 300 mètres de long (Hors tout), contribuent à faire de Dunkerque le leader mondial dans ce domaine. Afin de permettre au chantier de résister à la pression économique, qui touche régulièrement la construction navale, le groupe Schneider SA fusionne avec la société métallurgique de Normandie (SMN), et prend le nom de Société métallurgique et navale de Dunkerque-Normandie (SMN"DN") (1977). 1979, des milliers de visiteurs se pressent toujours dès l’ouverture des portes, ou de l’autre côté du bassin, au quai des monitors, pour assister au lancement d’un navire. Dans son discourt du 10 juin 1979, publié dans le tome 2 – page 241, qui précéda le lancement du "Tenaga Dua" (toujours de service de nos jours !), tout en s’adressant aux administrateurs et aux salariés, le ministre des transports d’alors déclara : "si il y a en France un constructeur auquel le gouvernement fait confiance, c’est bien le président du chantier de Dunkerque […] c’est le seul chantier en France qui soit parvenu à maintenir son potentiel d’activité à 100%". Cependant, après le deuxième choc pétrolier, la construction navale rentre dans un cycle de crise, générant la réduction d’effectif  par la mise en préretraites, mais la situation est difficile. Concédant des sacrifices considérables, lors de la signature de deux navires de la compagnie Stena Line, la mondialisation se met en marche ! Bien que les finances de l’entreprise sont solides, et pour ne pas compromettre ce besoin en fonds de roulement (BFR), permettant de réduire le décalage des flux de trésorerie lié à l’activité opérationnelle, une solution devait être trouvée rapidement pour trouver des finances supplémentaires. Afin de boucler les heures de travail en ce début d’année 1980. Les temps changent et le vent semble tourner du mauvais côté pour les ACF ! De plus, la concurrence devient plus serrée, suite à la venue de nouveaux constructeurs étrangers : Taiwan, Corée du sud, Brésil pratiquant des prix très compétitifs. Cette baisse de production génère une augmentation des prix de revient.
En 1982, les chantiers comptent plus de 3 200 employés ! La même année, et suite au second choc pétrolier (1978/1981), intervient la séparation de la SMN(DN). Un article, publié dans le tome 2 – page 266, paru en décembre 1981 dans le journal des ACF "Entre Nous" indique : "… Quoi qu’il en soit, au moment de nous séparer, nous exprimons notre très grande gratitude aux Chantiers Navals de France-Dunkerque : ils nous ont apporté, sans récriminer, un soutien financier qui a fini par atteindre une somme énorme, alors qu’ils sont maintenant confrontés, eux aussi, à la crise." La SMN cesse ses activités en 1983. Sans doute dû au principe "financier" des vases communicants. Sous la pression des pouvoirs publics, le groupe Schneider SA accepte la fusion de France-Dunkerque avec les chantiers de la Ciotat (CNC) et celui de la construction navale et industrielle de la Méditerranée de la Seyne (CNIM), aboutissant à la création des Chantiers du Nord et de la Méditerranée (NORMED). Mais cette fusion ne résiste pas mieux que les précédentes, et surtout, elle arrive trop tardivement pour sauver les trois sites.
Entre 1984 et 1987, apparait une succession de plans sociaux, faisant chuter le nombre de salariés à … 550 personnes ! Comme il n’y avait pas de place pour garder plusieurs sites en France, représentant tout de même 11 000 emplois, survient l’inévitable liquidation de la Normed, qui est prononcée en 1986. En 1985, la SNCF commande la construction d’un train-ferry, le Nord-Pas-de-Calais (encore en service de nos jours, mais sous le nom d’Alandalus Express "FRS Ibéria"), financé à hauteur de 207 500 000 Francs (316 340,39 Euros) par la région. Portant le numéro 325, mais il est en réalité le 266 ème navire des chantiers de France. Hélas, il est aussi le dernier. En avril 1987, le Nord-Pas-de-Calais est lancé sans cérémonie, devant un public toujours aussi nombreux, (dont mes parents, mes frères et moi !) en soutient aux ACF, sans chaîne de retenue, car plus petit que les autres constructions. Entrainant dans la foulée la fermeture définitive du site dunkerquois. Dunkerque clôtura ainsi l’une des pages les plus symboliques de l’histoire industrielle dunkerquoise. 
Ce livre, écrit en 2017, par Frédéric Cornette, revient sur les 85 années de lancements avec l'ensemble de ses 325 navires et s'intitule "Ateliers et Chantiers de France, 85 ans de lancements." Ouvrage qui était épuisé, mais qui semble être de nouveau disponible chez certains libraires dunkerquois.
 
1 Expression personnelle. En référence à l’acteur et humoriste français Guy MONTAGNE.

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